Parler avec des galets dans la bouche, prendre des médicaments, subir des opérations, avoir recours à des méthodes par ordinateur ou à une thérapie de jeu... Il n'y a rien qui n'ait pas encore été essayé pour venir en aide aux personnes qui bégaient. Des thérapies spécifiques procédant de façon aussi intensive que globale viennent dominer cette jungle d'aides proposées.
« J...je..m'a..ppe..pelle... Lll..efff...ke. » Voilà ce qu'on entendait lorsque l'élève allemande Lefke Blöcker se mettait à parler. Aujourd'hui, cette jeune fille de 16 ans parle sans aucune hésitation. Il n'existe quasiment plus aucun mot qui rappelle le sévère bégaiement qui a torturé la jeune fille pendant longtemps. « J'étais souvent en colère car il m'était impossible de parler » se souvient la jeune élève de Wattenbek en Allemagne. Mais Lefke peut depuis exprimer sans aucun problème ce qui l'émeut et ce qu'elle aimerait. La mère de Lefke également est plus qu'heureuse : « Ma fille sait maintenant comment elle peut s'aider elle-même.
C'est grâce à l'orthophoniste et éducatrice, Sabine Schütz, que cette guérison fut possible. « La souffrance des bègues m'a fortement émue depuis le début », se souvient cette femme de 52 ans qui travaille depuis plus de 20 ans avec des patients souffrant de bégaiement. Son centre situé à Bad Marienberg en Allemagne est ouvert aux personnes cherchant de l'aide âgées de 10 à 25 ans. Après une thérapie intensive de trois semaines, 80 % des élèves sont en mesure de s'exprimer avec aisance. « Les 20 % restants retombent dans leur ancienne façon de parler car ils ne s'entraînent pas de façon conséquente lorsqu'ils sont chez eux ou car ils ne sont pas suffisamment soutenus par leurs parents », regrette Sabine Schütz.
Une technique d'élocution spéciale représente la base de la thérapie de Sabine Schütz ; grâce à cette technique, les jeunes patients apprennent à décrisper leurs cordes vocales et à prononcer les mots avec aisance. Le son de « relâchement » qui apparaît à cet effet forme la base de leur nouvelle façon de parler.
« Les jeunes patients se détachent pour ainsi dire de leur ancienne façon de parler dès la première heure de la thérapie et ils apprennent une nouvelle base » souligne l'orthophoniste Sabine Schütz. Pour ce faire, ils s'entraînent huit heures par jour avec cette nouvelle technique qui vient s'ancrer dans leur quotidien : ils font par exemple des jeux de rôle et des exercices pratiques comme passer des appels téléphoniques ou aller faire des achats.
« Ainsi, la méthode apprise peut se transformer peu à peu en leur et forme ainsi un pont entre le bégaiement et une élocution normale » explique Sabine Schütz.
Pour cette mère de deux enfants, le fait que cette thérapie dure trois semaines représente un grand avantage vis-à-vis des thérapies traditionnelles : « Il a été scientifiquement prouvé que le cerveau a besoin d'environ 21 jours pour que de nouvelles habitudes deviennent automatiques. Nos patients ont également besoin de tout ce temps pour solidifier leur nouvelle façon de parler ». Ils sont entourés d'une équipe de professionnels leur apportant tout leur soutien – une orthophoniste, une orthophoniste débutante, un ergothérapeute, une thérapeute en shiatsu, un musicothérapeute, une spécialiste de la thérapie par bols chantants et une spécialiste pour relaxation musculaire progressive.
En Allemagne, les thérapies proposées comme celle de Sabine Schütz sont rares ; il en est de même en Suisse où les thérapies intensives de plusieurs semaines permettant d'harmoniser l'élocution sont plutôt inhabituelles. L'école de Saint-Gall est une exception : elle offre la possibilité aux enfants et aux adolescents souffrant de bégaiement de séjourner à « l'internat pour bègues » pendant la moitié d'une année.
Les jeunes pensionnaires apprennent à s'exprimer avec aisance et ont en parallèle des cours de mathématiques, d'allemand et d'une langue étrangère à hauteur de deux heures par jour afin de conserver le niveau de connaissances de leurs écoles respectives. Des exercices de respiration, d'élocution et de vocalisation font également partie du programme du jour à Saint-Gall, auxquels s'ajoutent des exercices de relaxation, des jeux de rôles ainsi que des exercices « in-vivo ».
Ces derniers signifient par exemple que la thérapeute et ses élèves se rendent en ville tous ensemble une fois par semaine où ils doivent aller vers des personnes inconnues, leur poser des questions ou aller demander un renseignement dans un magasin.
« Ce sont là des exercices importants », explique Divina Suarez, orthophoniste et responsable de la thérapie proposée à l'école spécialisée de Saint-Gall. « Les personnes souffrant de bégaiement choisissent souvent le chemin de la facilité s'ils rencontrent des difficultés. Nous les aidons à surmonter leur peur et à se débrouiller dans les situations de tous les jours. » Il s'agit à ce sujet également de discuter et de réfléchir sur les expériences faites ainsi que sur la possibilité de rassembler de nouvelles expériences.
À la différence de la thérapie à Bad Marienberg, les élèves de Saint-Gall ont le droit de parler comme ils l'ont fait jusque-là pendant les deux premières semaines. « Cela leur permet de se rendre compte du bégaiement des autres, d'observer leurs propres réactions et de mieux comprendre les réactions de notre environnement non-bègue », explique Divina Suarez. Puis s'ensuit un week-end de silence commun à tous pendant lequel les jeunes souffrant de bégaiement apprennent ce que cela signifie lorsque l'on ne peut pas parler du tout. Divina Suarez a remarqué que ce week-end de silence renforce également le sentiment d'appartenance au sein du groupe.
Ces centres thérapeutiques attachent une grande importance au travail de coopération avec les parents. Les enseignants ainsi que les pédagogues sont en contact chaque semaine avec les parents ; il est très important d'avoir de longues conversations avec eux et de pouvoir les conseiller à titre individuel. Sans compter que les parents retrouvent un « nouvel » enfant après ces six mois : « Les enfants n'apprennent pas seulement à s'exprimer avec aisance au cours de cette thérapie », se réjouit Divina Suarez. « Ils font preuve de plus d'assurance, ils peuvent mieux s'affirmer, influencer leurs émotions de façon positive et avoir une meilleure perception de soi-même et des autres. Et ils découvrent que parler peut vraiment faire plaisir ! »
S'amuser – voilà un « médicament » qui a joué également un rôle très important pour Beat Meichtry. Cet homme de 57 ans qui bégayait lorsqu'il était enfant, adolescent et jeune adulte, a un long chemin de thérapies derrière lui. Il était motivé pour suivre de nombreuses thérapies et il a essayé tout ce qui était possible, par ex. l'orthophonie, l'imposition des mains, les exercices de respiration, la vocalisation, la magnétothérapie, la relaxation musculaire progressive et bien plus encore. Originaire de Zurich, il s’exprime aujourd'hui de façon très éloquente et sans hésitation au téléphone. Ce n'est qu'à quelques occasions près qu'il allonge une voyelle, à peine perceptible.
« J'ai appris quelque chose avec chaque thérapie », se souvient ce père de trois enfants. « Ma confiance intérieure a ainsi grandi et j'ai commencé à comprendre les rapports complexes du bégaiement. » Il est très important de découvrir que l'on peut jouer et faire ses expériences lorsque l'on parle : « Mon attention passait de plus en plus de la peur au plaisir. Mon monde intérieur s'est également transformé en même temps. »
Comment doit-on se comporter lorsque l'on remarque que la personne en face de soi a une boule dans la gorge ou a la langue nouée ? « Le mieux est de se comporter de la même manière qu'avec les personnes parlant normalement », conseille Wolfgang Braun, orthophoniste à l'Université intercantonale de Zurich pour la pédagogie spécialisée. « On l'écoute calmement et amicalement, on le regarde dans les yeux et on évite de finir ses phrases à sa place. »
Il est recommandé de suivre les mêmes règles de conduite avec les jeunes enfants. Pour la plupart d'entre eux, leur capacité de perception se développe de façon fulgurante quand ils ont environ trois ans et les enfants aimeraient alors parler davantage et plus rapidement, mais ils ne sont pas en mesure de le faire en raison de leur motricité orale qui n'est pas encore bien développée.
« Le mieux est de se comporter calmement et sans se soucier de ce bégaiement lié au développement de l'enfant, mais d'y garder tout de même un œil. Si le bégaiement dure plus de six mois ou si l'enfant fournit des efforts pour parler, il faudra avoir l'avis d'un orthophoniste », recommande l'orthophoniste de Saint-Gall Divina Suarez. « Les parents doivent donner un sentiment de sécurité à l'enfant et se concentrer sur le contenu des phrases prononcées au lieu de se focaliser sur la manière de parler. Ils doivent signaler à l'enfant qu'ils remarquent sa difficulté mais que ce n'est pas grave. »