Notre plus grand organe est un sujet complexe : protecteur et sensible, productif et dégénératif. Un soin approprié est essentiel, nous explique le Dr. Yael Adler, spécialiste des affections cutanées, vénériennes et vasculaires.
Texte/Interview : Andrea Pauli
Elle protège des blessures et du dessèchement, constitue une barrière pour les agents pathogènes, régule l’équilibre hydrique et sodique ainsi que la température du corps, reçoit les stimulations tactiles et douloureuses et active la synthèse de vitamine D sous l’action des rayons UV : notre peau est un grand travailleur!
Et avec une surface d’environ 1,6 mètres carrés, elle est en outre notre plus grand organe. Il est fascinant de voir à quel point la structure de la peau est raffinée et ce que chacune de ses couches accomplit. On distingue trois étages : l’épiderme, le derme et l’hypoderme. Ce que nous voyons et sentons directement est l’épiderme, d’une épaisseur moyenne de 0,05 à 0,1 millimètre, il constitue l’importante barrière protectrice de la peau. L’épiderme se divise à son tour en quatre couches cellulaires : la couche basale, la couche épineuse, la couche granuleuse et la couche cornée. De l’intérieur à l’extérieur, on peut se représenter celles-ci comme les stades de développement de la naissance à la mort.
Lorsque les cellules de la couche granuleuse meurent, elles deviennent les cellules de la couche cornée et celles-ci forment l’importante barrière protectrice contre les influences extérieures. À son tour, la «corne», c’est à dire la kératine, est produite par les cellules épithéliales. Le renouvellement cellulaire permanent qui se déroule dans l’épiderme est soutenu par des nutriments, qui passent des vaisseaux sanguins du derme à l’épiderme qui lui, n’est pas vascularisé. D’une épaisseur d’environ deux millimètres, le derme procure stabilité et élasticité à la peau. Dans son tissu conjonctif il stocke les poils, les glandes sébacées, les glandes sudoripares, les terminaisons nerveuses, les vaisseaux sanguins et lymphatiques. Les principaux composants du système immunitaire se trouvent ici.
L’hypoderme est aussi composé de tissu conjonctif (lâche). Son épaisseur varie en fonction de la zone du corps et dépend avant tout de l’alimentation. Le tissu cellulaire sous-cutané sert de réservoir pour les nutriments et l’eau. On peut se représenter l’hypoderme comme notre « amortisseur », comme la couche isolante contenue dans la graisse sous-cutanée. Grâce au tissu adipeux, la peau est non seulement le plus grand organe, mais également le plus lourd : avec la graisse sous-cutanée, elle pèse au total 20 kg. Sans, elle pèse seulement 3 kg.
La productivité de la peau est tout aussi remarquable : environ deux grammes de sébum sont produits chaque jour (dont la moitié au niveau du cuir chevelu), elle évacue de manière inaperçue entre 0,5 et un litre de liquide par jour et élimine en permanence des cellules de couche cornée mortes - 40 000 par minute, ce qui représente jusqu’à 10 grammes par jour.
Une peau saine présente un film hydrolipidique efficace qui préserve l’organisme humain comme une barrière, en empêchant les agents pathogènes de pénétrer, et le protège contre les influences environnementales. Il s’agit d’un film constitué d’eau et de graisse qui se forme sur la peau par les glandes sudoripares et sébacées et les composants des cellules cornées; il est surtout légèrement acide à cause de la transpiration. Sa fonction protectrice est un débat pour les experts. Attribuer un taux de pH abaissé à une protection cutanée naturelle s’avère insuffisant. La protection spécifique issue de la combinaison de diverses sécrétions des glandes sébacées devrait résulter en bien plus.
Avec l’âge, la capacité de renouvellement des cellules cutanées diminue et l’approvisionnement en nutriments ralentit. Les glandes sébacées forment moins de gras, la peau absorbe moins d’humidité. L’épiderme s’amincit et se ride, la surface cutanée s’assèche, des ridules et des rides apparaissent, la surface de la peau peut devenir squameuse.
Le processus de vieillissement de notre peau est très complexe et on ne peut pas l’arrêter. La rapidité à laquelle les rides et le relâchement cutané font leur apparition dépend bien plus du mode de vie et des facteurs génétiques. Pour les peaux vieillissantes, aussi bien que pour les peaux sensibles et sèches, il est important de les réhydrater, de fixer l’eau dans la peau et de leur apporter des graisses naturelles.
Avec son best-seller « Haut nah » (Au plus près de la peau) sorti en 2016, le Dr. Yael Adler, spécialiste des affections cutanées, vénériennes et vasculaires, s’est donnée comme objectif d’expliquer « Alles über unser grösstes Organ » (Tout sur notre plus grand organe). Elle a travaillé de nombreuses années pour la recherche clinique, dispose d’une formation complémentaire en médecine nutritionnelle et dirige son propre cabinet à Berlin depuis 2007.
GN: Dr. Adler, pour se laver le corps vous recommandez l’utilisation d’un nettoyant synthétique. Pour les personnes qui ne jurent que par les savons artisanaux bio, un nettoyant synthétique ressemble à un produit chimique. Où est la différence?
YA: En réalité je recommande de l’eau et une serviette (rire). Bien sûr les savons bio artisanaux sont mieux que les savons industriels parce qu’ils sont enrichis en huiles naturelles. La différence réside dans le taux de pH. Les savons ont un taux de pH dans les environs de 9, celui du film hydrolipidique de notre peau est entre 4,8 et 5,5. En utilisant du savon, la peau se trouve dans une plage de pH de 8 à 9 et a besoin de six à huit heures pour redevenir « acide ». Pendant ce temps, elle est sans protection contre les bactéries pathogènes, virus et champignons. Les détergents synthétiques sont beaucoup mieux tolérés, en particulier s’ils sont utilisés avec parcimonie et uniquement dans les zones à transpiration ou lors du lavage des mains ; de plus ils sont recommandés par les associations professionnelles pour les personnes qui ont des problèmes de peau. Je comprends les personnes qui préfèrent le savon et les savons naturels n’ont rien de mal. Mais il faut les utiliser rarement, afin d’éviter qu’ils ne causent des problèmes.
GN: Certaines médecines alternatives supposent que le taux de pH courant est une construction et que le concept d’adapter la valeur des produits de soin pour la peau au taux du pH de la peau est une erreur de raisonnement. Pendant des siècles, les soins pour le corps étaient basiques. Chez les personnes qui se soignent et se nourrissent de manière basique, on a pu constater une diminution des problèmes de peau. Quelle est votre position à ce sujet ?
YA: L’âge de pierre est la mesure, et pas ce que l’on fait depuis environ 400 ans, c’est à dire utiliser des savons alcalins. Le développement humain n’a pas prévu le savon. Le taux de pH sain est d’une acidité mesurable, le vagin est encore plus acide et l’estomac est le plus acide. Toutes les zones frontalières et les postes de défense de notre corps sont acides. Ils sont favorables au milieu et préservent le film hydrolipidique. Même le liquide amniotique est un peu plus acide que l’eau normale, bien qu’aucune bactérie n’ait encore été en contact avec le corps ou ne l’ait colonisé. Les savons basiques assèchent et éloignent la flore dont le rôle depuis l’âge de pierre est de maintenir la peau en bonne santé. Comme il était courant jusque dans les années 1970, se laver avec du savon un jour par semaine est toléré par la peau, mais elle ne supporte pas d’être lavée plusieurs fois, chaque jour. Les écologistes ont tort de dire que parce que les coûts de base sont « tendance », des produits de base doivent être appliqués sur la peau.
GN: Vous considérez l’utilisation d’huile dans les soins pour le corps comme une « lésion corporelle involontaire », surtout chez les bébés. Mais beaucoup de personnes disent, d’après leur expérience, que les huiles végétales naturelles font du bien à leur peau. Dans la médecine ayurvédique, les huiles sont utilisées avec succès depuis des millénaires dans différentes compositions et dans différentes applications. Leurs effets thérapeutiques positifs sont documentés dans d’innombrables cas, d’après l’association suisse de médecins et thérapeutes ayurvédiques. Comment percevez-vous cela ?
YA: En biologie, il y a toujours des choses qui sont différentes d’un organisme à l’autre. Il existera toujours des huiles qui seront compatibles avec certains individus. Mais je compte parmi mes patients beaucoup de masseurs et kinésithérapeutes qui souffrent d’eczéma au niveau des mains à cause des massages à l’huile. Parce qu’en raison de leur forme liquide, les huiles se combinent avec les céramides de la peau et autres lipides, qui parviennent dans la couche supérieure de l’épiderme après environ quatre semaines, et qui sont « rincés » par les huiles. En tant que novice, on peut comprendre cela lorsque l’on utilise de l’huile comme nettoyant, pour éliminer les pellicules ou en guise d’assouplissant sur la tête (en cas de pellicules, de psoriasis), pour un maquillage tenace ou pour retirer le méconium. L’huile pure est un produit de nettoyage et pas un produit de soin. Si l’on souhaite malgré tout utiliser de l’huile en guise de soin, alors il faudrait presque la poser sur la peau et ne pas frotter pour faire pénétrer. On obtient ainsi un effet de blocage de l’hydratation, ce qui contribue à rendre la couche supérieure de l’épiderme souple. Le problème commence au moment où l’on masse l’huile sur la peau - c’est ce qui entraîne l’effet de « rinçage ». Les femmes enceintes qui huilent leur ventre ont souvent la peau sèche, qui démange et cela est dû à l’huile.
À la clinique, nous avons souvent vu des bébés qui ont été huilés par leur maman au point d’avoir la peau asséchée et c’est pour cela que je tiens à mettre en garde. Il est préférable d’incorporer l’huile dans une pommade grasse ou une lotion, on obtient ainsi les précieux acides gras, mais sans l’effet « inçage ».
GN: Vous écrivez que la peau est le plus grand organe hormonal de notre corps. Qu’est-ce que cela signifie pour les femmes ménopausées ?
YA: La production d’œstrogènes dans les ovaires ralentit mais son influence sur la peau se fait toujours sentir. Elle produit de l’estrone et de l’estradiol, des dérivés de la classique œstrogène. Il en résulte que les femmes continuent à avoir une peau assez belle et une libido, et pas uniquement de vilains symptômes ménopausiques. Seule une peau qui n’est pas complètement amaigrie peut se le permettre. Inutile d’être en surpoids, mais un peu de graisse dans l’hypoderme est parfaitement bénéfique pour la santé.
GN: Que peut-on encore faire depuis l’extérieur pendant la ménopause ?
YA: Il est évident que la peau va devenir plus sèche. Cela s’intensifie chez les personnes qui la savonnent beaucoup. Lorsque l’on change son comportement de lavage pour de l’eau, alors on a moins besoin d’appliquer de crème. Si une femme ménopausée a la peau sèche, elle peut y remédier avec une crème grasse, mais uniquement aux endroits où elle est vraiment sèche. Inutile donc d’appliquer la crème tout le visage. Les femmes ménopausées ont souvent une zone T grasse, par conséquent aucune crème n’est nécessaire à cet endroit. Et l’on doit faire attention à se nourrir d’une façon équitable pour l’évolution, donc à ne pas ingérer trop de nourriture moderne. Notre alimentation peut nous permettre d’influencer beaucoup de choses de manière positive. Les femmes ménopausées doivent garder à l’esprit leur flore intestinale.
GN: Vous expliquez que les taches de vieillesse sont une réaction de protestation de la peau au rayonnement solaire et que la limite de durée de vie des UV serait ainsi atteinte. Mais justement chez les personnes âgées le soleil est d’une importance cruciale pour la synthèse de la vitamine D. Comment bien se comporter alors ?
YA: Lorsque l’on a déjà fait des excès, alors il faut prendre les choses au sérieux, parce que le risque de cancer de la peau augmente, tout comme le risque de rides. L’alternative serait, et je l’ai présentée dans mon livre, de tourner le dos au soleil. Avec une peau claire, on dispose d’une durée de protection de 15 à 20 minutes, cela signifie que pendant cette période, on peut exposer son fessier ou l’arrière de ses cuisses au soleil sans protection, ou encore son ventre ou son dos, et ainsi synthétiser seul la vitamine D. La dose journalière étant atteinte, on doit se rhabiller. Ceux qui souhaitent rester dehors plus longtemps recevront automatiquement plus de soleil, même s’ils utilisent de la crème protectrice. Dans tous les cas, je conseille à tout le monde de bien protéger son visage.
GN: Qu’est-ce qui protège au mieux les peaux matures, quel soin est utile ?
YA: Même en vieillissant, il est important de se souvenir de tout ce dont la peau est capable de faire seule, et de l’aider à y parvenir. Donc se doucher uniquement à l’eau, nettoyer les zones où la transpiration s’accumule avec une substance lavante acide et appliquer une crème si la peau est sèche. Il est important d’éviter les parfums, les conservateurs, les colorants et les paillettes. Et toujours se rappeler que: la peau fait beaucoup de l’intérieur ! On doit se nourrir de manière saine et veiller à une flore intestinale saine. Mon conseil : boire chaque jour un verre de jus de carotte permet de soutenir les mécanismes réparateurs de la peau et, grâce à la légère coloration de la peau, prévient également le vieillissement cutané. Idéalement, on ajoute une goutte d’huile de lin aux acides gras oméga 3 anti-inflammatoires dans le jus. En l’absence de gras, la provitamine A peut être bien intégrée.
GN: Selon vous, on ne devrait idéalement pas appliquer de crème sur une peau saine. Mais est-il possible de changer ses habitudes après des dizaines d’années à avoir appliqué de la crème ? Quel effet cela aurait-il de renoncer complètement à la crème ?
YA: Bien sûr que l’on peut se déshabituer parce que la couche supérieure de la peau se renouvelle toutes les quatre semaines. Le sébum que notre peau produit pendant la nuit est pratiquement comme une crème pour le visage qui provient de notre propre corps. On doit l’utiliser et c’est pourquoi il est préférable le matin de faire seulement une toilette de chat avec de l’eau. Cela vaut toujours la peine d’essayer une fois. Ceux qui souhaitent quand même appliquer de la crème : alors uniquement sur les zones sèches, pas les autres. Et si vous appliquez de la crème, alors sans additifs. Je suis une grande adepte du beurre de karité, il est bon marché, c’est un produit ultra naturel et il ne cause pratiquement aucune allergie. Il forme une couche de protection et ses lipides ressemblent à la graisse de notre peau.
Dernière modification : 31-03-2020