À Wynau, dans le canton de Berne, Mathis et Ingrid Motzet cultivent du cresson des fontaines, non dans un champ, mais dans l’eau. Ils ont ainsi l’avantage de pouvoir récolter les pousses également en hiver.
Auteur : Niklaus Salzmann, Tierwelt, www.tierwelt.ch
Avec de l’eau jusqu’aux genoux, Mathias Motzet avance lentement mais régulièrement. Équipé de bottes de pêcheur, il coupe les feuilles de cresson au ciseau et les met dans un panier. Tout est fait à la main, mètre par mètre, jusqu’à ce que la cueillette soit suffisante pour couvrir les commandes de la journée : le cresson des fontaines est en effet livré frais chaque jour.
Les cuisiniers apprécient le goût légèrement piquant du cresson des fontaines, pour relever une salade ou une soupe. Parmi les clients du couple Motzet figurent également des restaurants, des marchands de légumes, et surtout Bioforce AG, qui utilise chaque année des tonnes de cresson pour ses sels aromatiques Herbamare et Trocomare, connus dans le monde entier. Dans ces deux compositions, le cresson des fontaines est le seul ingrédient qui provient encore de la Suisse. Les Motzet sont les seuls en Suisse à pouvoir livrer de grandes quantités toute l’année. Leur culture ne pousse pas en terre, infertile en hiver, mais dans l’eau.
De la famille des crucifères, le cresson (nom scientifique : Nasturtium officinale) développe ses racines sous l’eau, tout comme le riz, et croît continuellement jusqu’à atteindre environ 30 cm de hauteur.
La plante cesse de pousser lorsque la température de l’eau descend en dessous de 7 degrés. Cependant, les feuilles existantes peuvent toujours être cueillies. L’eau les protège du gel : Mathias Motzet utilise un large tamis pour maintenir les plantes sous la surface de l’eau. Un geste qu’il répète pour les 28 bassins, mesurant 30 à 50 mètres de long. Ce procédé est à l’origine des problèmes de dos dont souffre Mathias Motzet.
« Si je devais recommencer aujourd’hui, je me renseignerais pour savoir si une machine pourrait effectuer certaines tâches », confie-t-il. Entre-temps, il a troqué son lourd tamis contre un autre plus léger, mais à 61 ans, il ne veut plus de nouveauté. Il s’en tient à la méthode traditionnelle, celle que son grand-père pratiquait déjà il y a un siècle. Ce dernier était jardinier, originaire d’Allemagne, de la région d’Erfurt en Thuringe, berceau de la culture du cresson à l’époque. À Wynau, au cœur des fossés gorgés d’eau, régulièrement nourris par la rivière Langete sortant de son lit, il a trouvé les conditions idéales pour cultiver le cresson également en Suisse. Il disposait de ce dont le cresson des fontaines a avant tout besoin : une grande quantité d’eau propre.
Chaque bassin est traversé d’eau de source, le cresson y était cultivé tout d’abord par le grand-père, puis par le père, puis, après sa mort en 1977, par Mathias Motzet. De nos jours cependant, il y a moins d’eau qu’autrefois. Dans les années 90, des mesures de construction ont empêché les débordements réguliers de la Langete, lesquels faisaient à l’époque monter le niveau des nappes phréatiques. « Pour moi, il ne pleut jamais assez », explique M. Motzet.
Il est vrai qu’il n’a pas besoin d’autant d’eau de source que son grand-père. Celui-ci exploitait 66 bassins et employait au moins une quinzaine de personnes pour la récolte. Mathias et Ingrid Motzet se limitent à une petite moitié du parc. Ils parviennent à l’exploiter sans personnel, ce n’est que pour les grandes récoltes destinées à Bioforce qu’ils font appel à une ou deux personnes supplémentaires. Ils continuent cependant de produire chaque année 20 à 30 tonnes de cresson des fontaines. Outre la sécheresse, le cresson a un autre ennemi : le canard. Les canards se plaisent dans la région depuis le retour des castors, qui ont allègrement construit des barrages et donné naissance à de petits étangs.
On voit très souvent un canard se poser sur les bassins en béton des Motzet et se régaler de cresson. L’exploitant a donc installé un système de tirs d’effarouchement automatique, relié à une minuterie. Deux fois par jour, il éloigne ainsi les oiseaux. Reste qu’il faut quand même s’attendre à des dégâts de temps à autre. Les canards trouvent également du cresson sauvage dans les ruisseaux alentour.
Dans les cours d’eau suisses, la variété sauvage du cresson est en effet présente. Mais ceux qui souhaitent cultiver eux-mêmes le savoureux cresson doivent être prudents : dans les eaux stagnantes, la douve du foie peut se développer, elle provoque de graves problèmes de santé chez les humains. Le cresson des fontaines cultivé ne présente aucun risque, il est au contraire excellent pour la santé. Il contient entre autres de la vitamine C, de l’iode, du fer et des substances antibiotiques, il aide également à combattre les infections et agit favorablement sur la glande thyroïde. Seules les femmes enceintes ne doivent pas en abuser, car, selon M. Motzet, le cresson a une action diurétique.
Le cresson des fontaines est un ingrédient assez rarement utilisé en Suisse. « De nombreuses recettes au « watercress » (nom anglais de la plante) sont en revanche connues en Angleterre, par exemple pour préparer la “pie”, une sorte de pâté », explique M.Motzet, qui était à l’origine boulanger-pâtissier. Chez les Motzet, le cresson figure au menu presque chaque jour, notamment en salade. Ingrid Motzet est convaincue de ses bienfaits pour le corps : « Je ne suis jamais malade », dit-elle.
Peut-être sa belle santé est-elle due au fait qu’elle et son mari sont très souvent dehors. Car la récolte n’est pas tout, tous les deux ou trois ans, les bassins doivent être vidés et de nouveau ensemencés.
En outre, les Motzet doivent couper les fleurs au tout début de l’été. Les plantes ont ensuite besoin d’un à deux mois pour pousser. Il s’agit donc d’une période où ils ne peuvent pas vendre de cresson, et où la récolte n’a pas lieu durant quelques semaines. Le couple souhaite poursuivre la culture du cresson jusqu’au départ à la retraite de Mathias, dans quatre ans. Nul ne sait ce qui va se passer ensuite.
M. Motzet a entamé des discussions avec une fondation. L’idée est de s’assurer que la culture du cresson va perdurer dans les bassins, pour que ce patrimoine culturel ne s’éteigne pas.