Un changement fondamental est la seule solution pour qu' à l'avenir, la population mondiale puisse manger à sa faim et reste en même temps en bonne santé. La durabilité et le plaisir gustatif ne sont pas incompatibles dans ce contexte.
Gisela Dürselen
La santé de l'Homme et de la Terre sont indissociables. Ce lien devient évident au niveau de l'alimentation: comment tous les Hommes peuvent-ils manger bien et sainement sans dépasser les limites de la planète?
Selon une étude réalisée en 2020 par le Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung (PIK, Institut de recherche sur l'impact climatique de Potsdam), les surfaces consacrées à la production alimentaire couvrent environ un tiers de la surface terrestre mondiale. Cela entraîne des conséquences fatales pour l'environnement: l'agriculture industrielle contribue au grignotage des surfaces et à la diminution de la fertilité des sols, à la disparition des espèces, à la pollution par l'azote et les pesticides ainsi qu'à la déforestation et à la surexploitation des eaux.
S'y ajoute l'émission de gaz à effet de serre issue de l'agriculture qui, selon le PIK, représente presque un tiers des émissions mondiales. L'agriculture fait donc partie des plus grands moteurs de la crise climatique – tout en étant également l'un des premiers secteurs touchés. En effet, les sécheresses et les fortes pluies, la diminution de la fertilité des sols et le manque d'insectes pollinisateurs réduisent aujourd'hui déjà massivement les rendements des récoltes. C'est pourquoi une transformation radicale de l'agriculture et du système alimentaire est un facteur clé pour la réduction du CO2 et la réalisation des objectifs climatiques. Le changement est d'ailleurs la seule option pour assurer l'alimentation de l'humanité à l'avenir.
En effet, un pronostic des Nations unies prévoit qu'en 2050, la population mondiale pourrait déjà atteindre dix milliards d'Hommes. Dans 16 pays, 37 scientifiques de la Commission EAT-Lancet, une coopération entre l'organisation non gouvernementale EAT et la rédaction de la revue médicale spécialisée «The Lancet», se sont penchés sur la question de savoir comment un système alimentaire aussi performant que durable devrait être conçu et quelles seraient les conséquences pour les habitudes alimentaires actuelles dans les pays industriels. En 2019, ils ont publié un plan alimentaire à ce sujet: en tant que cadre de référence, il indique quel volume de quels aliments serait dévolu à chacun si dix milliards d'Hommes veulent bénéficier d'une nourriture suffisante et saine tout en protégeant l'écosystème.
Selon les chercheurs, le plan alimentaire «Planetary Health Diet» pourrait en même temps éviter environ onze millions de décès prématurés résultant de maladies en lien avec une mauvaise alimentation. En effet, tandis que, dans certaines régions, des Hommes souffrent de la faim, d'autres souffrent de surpoids – avec toutes les conséquences connues pour leur santé. Les personnes en surpoids présentent, elles aussi, souvent des carences alimentaires. Il existe un déséquilibre bien que, dans les pays riches, on trouve tout à toute saison: la quantité de graisse animale, de protéines et de sel consommée est trop élevée; de plus, on consomme de nombreux aliments hautement transformés qui sont pauvres en micronutriments.
La commission EAT-Lancet préconise un changement radical des habitudes alimentaires dominantes dans les pays industrialisés. Dans ce cadre, l'alimentation quotidienne de l'avenir sera composée principalement de denrées alimentaires végétales: de légumes et de fruits, de noix et de produits à base de céréales complètes, également de légumineuses telles que les lentilles et les haricots qui sont des sources précieuses de protéines. En plus du sucre et des acides gras saturés, ce sont principalement les produits d'origine animale tels que la viande, le lait et le beurre qui seront réduits. Ils causent beaucoup plus d'émissions nocives pour le climat que les produits agricoles végétaux; or, sur une grande partie des surfaces agricoles, ce ne sont pas des plantes pour la consommation humaine qui sont cultivées, mais du fourrage pour les animaux à l'engraissement dans la production industrielle de viande.
Le Deutsches Bundeszentrum für Ernährung (Centre fédéral allemand d'alimentation) a illustré quels produits d'origine animale pourraient encore se trouver dans nos assiettes selon la recommandation EAT-Lancet: par semaine, chaque personne aurait droit à un à deux œufs et à 200 grammes de poisson issu d'une production durable. Il serait aussi possible d'obtenir un quart de litre de lait ou des produits laitiers fabriqués avec la même quantité de lait. Ceux qui ne veulent pas renoncer à la viande pourraient manger par exemple un blanc de poulet ou environ 200 g de steak de bœuf issu de l'élevage biologique par semaine.
La commission Eat-Lancet estime qu'en plus d'un changement radical de l'alimentation de chacun, une gestion au niveau politique est indispensable: les aliments issus de sources durables devraient devenir abordables, et à la différence de la pratique actuelle des subventions, les coûts environnementaux devraient être intégrés dans le prix de vente – du lieu de production au point de vente. En font partie par exemple les chaînes d'approvisionnement, une consommation d'énergie élevée pour l'emballage, le refroidissement, le stockage ou les diverses étapes de transformation ainsi que la consommation de soja pour l'alimentation animale. Et pour terminer, il faudrait établir des règles contraignantes pour tous pour l'utilisation de la terre et de la mer et réduire le gaspillage alimentaire.
Le Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung exige lui aussi un soutien plus conséquent de la part des politiques en vue de la transition alimentaire, par exemple dans le cadre de la politique agricole de l'UE. L'Institut préconise entre autres l'exploitation d'autres sources de protéines sur une base végétale. Les possibilités à cet égard sont bien loin d'être épuisées, précise-t-il. Par exemple dans le domaine des légumineuses: les petits pois, les haricots, les lentilles et autres seraient des fournisseurs de protéines de qualité qui fixent l'azote de l'air dans le sol, fertilisant ainsi les cultures suivantes dont les racines ameublissent le sol et dont les fleurs offrent de la nourriture aux insectes.
En Suisse, ce sujet est d'actualité depuis des années déjà. En effet, la situation géographique limite les surfaces terrestres disponibles pour la production agricole. C'est pourquoi près de 50 pour cent des denrées alimentaires doivent être importées – ce qui signifie aussi que le pays laisse une grande partie de son empreinte écologique agricole à l'étranger. En 2014/2015, des scientifiques du World Food System Center de l'EPF de Zurich ont étudié, sur ordre de l'Office fédéral de l'agriculture, l'effet des tendances globales sur le système alimentaire suisse. Un système alimentaire suisse compétitif ne serait possible que s'il est également durable – telle est la conclusion de l'étude Forsight. Les résultats ont été intégrés dans le Programme national de recherche financé par le Fonds National Suisse (FNS) «Alimentation saine et production alimentaire durable» (FNS 69).
Dans le rapport, on peut lire que les compétences de la population suisse en matière de santé sont certes élevées, mais que les connaissances sont trop peu mises en œuvre dans le domaine de l'alimentation. Comme raison, une partie des personnes interrogées dans le cadre de l'étude a invoqué les prix des aliments de qualité. C'est la raison pour laquelle les scientifiques ont demandé que le prix des aliments sains soit baissé.
La stratégie possible qu'ils ont recommandée dans ce but consiste à promouvoir davantage la production nationale des fruits, des noix, des légumes et des légumineuses. Selon les personnes interrogées, le manque de temps et les restrictions au quotidien sont des raisons supplémentaires de faire des compromis. C'est ainsi que selon le FNS 69, environ un million de personnes actives suisses se nourrissent dans des restaurants d'entreprise ou dans des cantines pendant la semaine. Dans ces endroits, l'offre alimentaire joue donc un rôle important pour le tournant alimentaire.
D'une manière générale, le secteur de la restauration est important parce qu'il est en mesure de définir des tendances tout en associant durabilité et plaisir gustatif. Mais c'est parce qu'il n'est pas toujours facile de trouver son chemin dans la jungle des marques et des labels quand on fait ses courses que la start-up «Beelong» a été créée en 2014 en Suisse romande: Un «Ecoscore» permet d'évaluer l'impact des produits sur l'environnement et les chefs de cuisine ainsi que les acheteurs issus de la gastronomie sont formés et accompagnés pour prendre leurs décisions d'achat. En Allemagne, des producteurs et des cuisiniers se sont regroupés dans le réseau «Chef Alliance» de Slow Food. L'objectif: «Des aliments bons, propres et équitables et la préservation de la culture alimentaire locale et de la diversité biologique».
C'est dès le plus jeune âge que la compréhension d'une culture alimentaire saine et respectueuse du climat doit être suscitée chez les enfants. C'est pourquoi, en Suisse, l'association Slow Food a lancé l'initiative législative «Jeunesse et plaisirs gustatifs» qui devrait rendre obligatoires les cours de nutrition à l'école. Avec son programme éducatif «GemüseAckerdemie» pour les enfants des jardins d'enfant et des écoles primaires, l'association Ackerdemia a été fondée en 2014 sur la base d'une thèse de doctorat soutenue au Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung. L'initiateur, Christoph Schmitz, et son équipe transmettent des connaissances pratiques sur la consommation saine et durable également au-delà des frontières, en Autriche et en Suisse. Les enfants cultivent différentes espèces de légumes dans un champ et s'en occupent jusqu'à la récolte; les éducatrices bénéficient d'une formation et d'un programme d'accompagnement. Les objectifs du programme éducatif vont au-delà d'une alimentation saine et d'une culture biologique. Une «compréhension des processus et des rapports naturels ainsi que le respect de la Nature» sont également transmis – ce qui est plus nécessaire que jamais à l'ère numérique.
Dernière modification : 18-01-2022