La présence de l’eau sur la Terre caractérise notre planète. L’eau représente la vie. C’est une source de joie et d’inspiration pour les humains, un précieux trésor, qui doit toutefois être protégé.
Auteur: Claudia Rawer, GN 07.17
En Europe centrale, l’omniprésence de l’eau nous semble évidente. L’eau coule en abondance dès qu’on ouvre le robinet. Les paysages regorgent de rivières, de torrents, de lacs et d’étangs. Nous avons du mal à imaginer que l’eau est en fait une ressource rare, unique, et très inégalement répartie sur la Terre.
L’eau recouvre plus des deux tiers de la surface de la Terre, aussi est-elle appelée planète bleue depuis que nous disposons d’images de l’espace. Les étendues d’eau semblent s’étendre à l’infini. Mais plus de 97 % de l’eau disponible est en réalité de l’eau salée, impropre à la consommation, et utilisable en quantité infime. L’eau douce représente seulement 2,5 % de l’eau sur la Terre. Sur ces 2,5 %, les quatre cinquièmes se trouvent aux pôles, ce sont les icebergs et la banquise. Environ 20 % forment les nappes phréatiques, tandis que les lacs et cours d’eau ne représentent que 0,3 % de l’eau douce existante. Ce qui veut dire que le Nil majestueux, l’énorme mer Caspienne ou encore les chutes du Niagara, qui déversent quelque 6000 mètres cubes d’eau par seconde, ne sont en réalité qu’une quantité négligeable.
Dans toutes les civilisations, l’eau est un élément primordial. D’un point de vue chimique, il s’agit d’une molécule composée de deux atomes d’oxygène (O) et d’un atome d’hydrogène (H). À première vue, l’eau n’a rien d’extraordinaire, elle est incolore, inodore, sans saveur. Mais si l’on regarde de plus près, cet élément vital est très particulier.
La molécule H2O est la seule qui existe naturellement sous forme liquide, solide (glace) et gazeuse (vapeur d’eau). C’est l’un des rares éléments naturels qui présentent une anomalie « dilatométrique » : l’eau se dilate lorsqu’elle refroidit (en dessous de quatre degrés). La glace possède ainsi une densité plus faible que l’eau courante. Par conséquent, la glace flotte, comme les icebergs, tandis que les poissons et autres organismes aquatiques peuvent survivre dans un lac ou un étang gelé.
L’eau est le liquide qui absorbe le plus de chaleur. Les mers font ainsi office d’immenses réservoirs de chaleur, qui jouent un rôle considérable dans la chaleur globale et atténuent au moins partiellement le réchauffement climatique dû aux activités humaines. Après le mercure, l’eau est le liquide qui possède la plus grande tension superficielle. Cela explique que l’eau forme des gouttes et que certains insectes, comme les araignées d’eau, peuvent courir à la surface de l’eau.
Pendant que l’on évoque les formes inhabituelles de l’eau : il est souvent question d’eau virtuelle, c’est-à-dire qui n’existe pas réellement... Comment l’eau peut-elle être invisible ? Ce terme désigne la quantité d’eau douce totale nécessaire pour produire une marchandise. L’eau virtuelle sera par exemple le volume des précipitations nécessaire pour la culture des plantes, leur arrosage, l’eau de breuvage des animaux, l’eau nécessaire pour produire et transformer des produits. Ainsi, la production d’un kilo de blé engloutit 1100 litres d’eau, tandis qu’il en faut entre 3000 et 5000 litres pour un kilo de riz. Une ramette de 500 feuilles de papier A4 nécessite également 5000 litres d’eau. Il faut compter 15 000 litres pour un kilo de viande bovine et 6000 litres pour produire un jean. De nos T-shirts à la voiture, tous nos produits ont nécessité de l’eau que nous ne voyons pas.
Dans nos contrées aux climats tempérés, cela semble évident. Mais si nous n’avions pas chaque jour suffisamment d’eau à disposition, la mort ne serait pas loin. Un homme jeune et en bonne santé ne peut en effet survivre que trois ou quatre jours sans se réhydrater. En fonction de la température ambiante et l’humidité de l’air, de l’activité corporelle, de l’âge et de l’état de santé, la survie peut aller de 24 heures jusqu’à onze ou douze jours dans des cas extrêmement rares.
Sans eau, pas de vie : L’eau est l’élément vital également de la faune et de la flore, qui constituent notre nourriture. Nous avons besoin d’eau pour l’agriculture et pour l’industrie. Nous utilisons chaque jour de l’eau pour cuisiner, nettoyer, se laver, laver du linge, et pour la chasse d’eau. Les longues douches et les bains qui nous font du bien ne sont pas un plaisir accessible en tout lieu sur la Terre, de même que barboter dans un lac et bénéficier de séances d’hydrothérapie. La consommation d’eau quotidienne de chaque foyer dans les pays riches en eau comme l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse est de 120 litres (All.) à 160 litres (CH) par personne en moyenne. Cela représente 15 à 30 % de la consommation globale d’eau (15 % pour l’Allemagne, 30 % pour l’Autriche. Le reste est utilisé presque entièrement par l’industrie. À l’échelle mondiale, les ménages utilisent seulement 4 à 10 % de la quantité totale, l’industrie 20 % et l’agriculture entre 70 et 80 %.
On pourrait attendre que les humains se comportent de manière attentive et raisonnable avec cette ressource si précieuse et limitée, il n’en est rien. L’eau est utilisée intensivement, souvent gaspillée. Et pas seulement dans les régions où elle est amplement disponible, mais également dans les zones arides. La Chine par exemple, veut doubler sa consommation d’ici 2030, pour atteindre 1000 milliards de tonnes. L’eau s’infiltre dans le sol, s’évapore, n’est pas toujours utilisée efficacement. En Israël, 800 millions de mètres cubes d’eau pourraient être économisés chaque année si les conduits peu étanches étaient réparés ou si les réservoirs étaient couverts.
L’eau est polluée partout sur la planète. L’utilisation massive des engrais, des insecticides et herbicides, du phosphore et des nitrates dans les lessives, ainsi que le déversement des eaux usées industrielles provoquent une pollution de l’eau à long terme et détériorent les écosystèmes. Les eaux usées de l’industrie contiennent des métaux lourds, des sels, des produits chimiques organiques, des hormones, des acides etc. Comme ces substances nocives ne sont pas correctement éliminées, elles pénètrent dans les nappes phréatiques.
Dans l’eau du robinet, y compris dans les pays européens pourtant bien équipés de stations d’épuration, on retrouve également des résidus d’herbicides, d’engrais, de médicaments, d’antibiotiques, de microplastiques.
La quantité disponible en eau douce est limitée, et la répartition de l’eau sur les continents est inégale, de même que la consommation d’eau. Concrètement, cela signifie qu’un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable. Chaque jour dans les régions arides, des milliers d’enfants meurent du manque d’eau ou d’infections dues à de l’eau impropre. L’accès à l’eau risque de provoquer des guerres, préviennent les experts de l’environnement depuis quelques années ; des conflits sont déjà en cours dans de nombreuses régions pour la défense du bien précieux. La rareté de l’eau est due pour 98 % à l’activité humaine et seulement pour 2% à des processus naturels, estime l’Institut international des ressources en eau (IWMI).
Deux exemples illustrent cette réalité : le fleuve Colorado alimente la Californie, l’Utah, le Nevada, l’Arizona et le nord-ouest du Mexique, des contrées où il ne peut que rarement et où la sécheresse perdure parfois plusieurs années. Aujourd’hui, le Colorado est mal en point : les barrages, les villes gourmandes en eau et l’agriculture intensive consomment tellement d’eau que bien avant son embouchure, les bras de la rivière sont à sec. Les nappes phréatiques de Californie sont si sollicitées que leur niveau d’eau a chuté. Les responsables politiques demandent d’économiser l’eau. Cependant, les compteurs à eau n’existent pratiquement pas dans les foyers. Les villes de Sacramento et de Fresno veulent introduire ces compteurs, mais il faudra attendre 2025...
Au Proche-Orient, le fleuve Jourdain a connu un destin encore plus tragique. Israël, la Syrie et la Jordanie ponctionnent 98% de son volume, notamment Israël a des besoins énormes pour son agriculture destinée à l’export. La mer Morte, dans laquelle le Jourdain se déverse, n’est plus alimentée que par 10 % du débit d’autrefois. Ce qui fut un large fleuve n’est plus qu’un filet d’eau par endroits. Le déversement des eaux usées non traitées, nauséabondes, contenant des sels, des hormones, d’autres polluants, salissent l’artère vitale de cette région.
Même si elle est moins dramatique, la situation du Nil, de l’Euphrate et du Tigre est également préoccupante. En amont, d’énormes barrages sont construits, les pays riverains en aval en subissent les inconvénients, les conflits pour l’accès à l’eau seront quasiment inévitables. Les guerres ont des répercussions sur l’alimentation en eau des pays concernés : les gens puisent l’eau dans les nappes phréatiques des zones touchées par la guerre en Syrie. Conséquence : dans les camps de réfugiés de Jordanie, les réserves en eau seront épuisées au plus tard en 2021, selon les chercheurs.
Forte consommation en eau dans nos régions et manque cruel dans les contrées arides, que faire ? Malheureusement, cela n’a aucun sens d’économiser l’eau là où elle coule en abondance, car on ne peut pas l’exporter, ni donner à boire aux enfants en Afrique, ni aider les pays en guerre à cause de l’eau. On avance même parfois l’idée qu’une moindre consommation d’eau dans nos contrées ne ferait qu’augmenter les problèmes : utiliser trop peu d’eau ne permettrait pas d’évacuer suffisamment les dépôts des canalisations, des germes et de l’acide sulfurique risqueraient d’apparaître. L’eau stagnante favorise la corrosion des conduits et détériore le réseau des canalisations. Nos voisins allemands sont notamment allés trop loin dans cet esprit écologique, le prix de l’eau a augmenté précisément pour ces raisons. De plus, les gens devraient plus s’inquiéter de l’eau virtuelle que de penser à systématiquement fermer le robinet lorsqu’ils se lavent les dents.
Économiser l’eau dans nos pays n’aurait donc pour certains aucun sens. Ce sont notamment les fournisseurs d’eau ou les entreprises d’élimination qui mettent en avant cette idée, ou encore les journalistes, qui ne voient les choses qu’à court terme. Il existe en réalité de bonnes raisons de considérer d’un œil critique la consommation d’eau, sans pour autant être regardant avec le moindre litre d’eau utilisé. On peut du reste penser aussi à son porte-monnaie, or l’eau coute cher. Il est notamment pertinent d’économiser l’eau chaude, car le chauffage de l’eau fait augmenter la consommation d’énergie. Cela soulage le budget des ménages et contribue à préserver le climat, souligne l’Office fédéral allemand de l’écologie (UBA). « À l’ère du changement climatique, l’Allemagne a raison de s’atteler à l’économie d’eau ». Il en va de même pour les autres pays européens, l’Italie et l’Espagne, en particulier, présentent déjà des signes de carence en eau potable, phénomène qui risque de s’accentuer.
L’Allemagne et les pays montagneux ne souffrent pas de sécheresse. Cependant, selon Erik Gawel, professeur de macro-économie, la consommation excessive d’eau n’est pas une solution. Il a publié un article dans le journal « die Zeit » : « Les défenseurs de la thèse de l’abondance oublient régulièrement que les ressources en eau font avant tout partie des réserves naturelles et remplissent des fonctions écologiques. » Concernant le réseau des canalisations, le professeur pose une question judicieuse : « Voulons-nous vraiment utiliser toujours plus d’eau, ce qui conduirait à surcharger les installations probablement mal dimensionnées par le passé ? Ou bien faut-il consacrer plus d’efforts envers une utilisation raisonnée des ressources en eau, les préservant à long terme ? » L’UBA (Office fédéral allemand de l’écologie) affirme : « À moyen et à long terme, il est nécessaire d’adapter la taille du réseau de canalisations aux besoins locaux » (et non d’adapter la consommation au réseau existant). Économiser raisonnablement de l’eau est pertinent sous l’angle économique comme écologique.
À propos de l’eau virtuelle, il faut nuancer les positions. La surexploitation menace, lorsque par exemple la culture du coton en Ouzbékistan transforme la mer d’Aral, autrefois la quatrième étendue d’eau intérieure du monde, en un désert de sel. Les fraises espagnoles, produites toute l’année, sont superflues, estime l’UBA, leur arrosage prive la population et tous les écosystèmes d’une eau précieuse. Néanmoins, inutile d’avoir mauvaise conscience lorsqu’on boit une tasse de café et que cette tasse représente 140 litres d’eau engloutis. Dans les pays tropicaux comme le Venezuela, l’Équateur ou la Tanzanie, ou sur les hauts plateaux du Kenya, les cultures de café poussent vigoureusement sous l’effet de précipitations abondantes.
Malgré ces perspectives plus ou moins sombres, n’oublions pas à quel point l’eau contribue à la santé et à la joie dans les pays privilégiés d’Europe. Qui n’est pas heureux de contempler les flots tumultueux d’un torrent ou la majesté d’un fleuve ? Sachons apprécier notre eau, notre douche, les séances thermales, l’eau fraîche en été, les plantes de nos jardins et le goût des légumes régionaux. Réjouissons-nous de voir des enfants s’amuser dans les innombrables lacs et rivières, et si l’on a la chance d’habiter non loin d’une rivière, prenons le temps de l’observer et de lancer quelques cailloux. On découvrira toute une vie qui s’agite...