Bea Goldman, infirmière, a une longue expérience des thérapies à base de cannabis. Elle a élaboré une huile à partir de cette plante, appelée « Sativa-Öl », et participe activement, en collaboration avec des médecins, à la création des premières consultations sur le cannabis à l’hôpital cantonal de Saint-Gall. Gisela Dürselen s’est entretenue avec elle pour A.Vogel.
Auteure : Gisela Dürselen, 05.15
A.Vogel : Depuis novembre 2014, les médecins suisses peuvent prescrire la Sativa-Öl, l’huile de cannabis que vous avez élaborée. En quoi se différencie-t-elle des autres médicaments à base de cannabis que l’on peut se procurer légalement?
Bea Goldman : La Sativa-Öl contient l’une des substances actives les plus importantes du cannabis, le tétrahydrocannabinol (THC), et de nombreux autres composants modifiant les effets psychoactifs du THC. Cela explique la très bonne tolérance et la quasi-absence d’effets secondaires, notamment lorsque l’huile est déposée sous la langue. Elle est prescrite principalement dans les cas de spasticité, de douleurs et de crampes musculaires sévères incurables, et accompagne certaines chimiothérapies. Il existe de nombreux autres domaines d’application pour cette huile, que le professeur R. Mechoulam, pionnier israélien de l’utilisation de cannabis en médecine, qualifie de véritable « coffre aux trésors médical ». Elle est fabriquée uniquement à partir des fleurs femelles de cannabis sativa et d’huile d’arachide.
Le cannabis n’est pas un remède miracle, mais une solution thérapeutique.
Bea Goldman.
A.Vogel : Pourquoi mettre en place des consultations sur le cannabis ?
Bea Goldman : En raison d’un besoin croissant d’informations pour les professionnels et de conseils pour les personnes suivant une thérapie basée sur les cannabinoïdes, il semblait impossible d’intégrer une session d’informations, très chronophage, aux heures normales de consultation. On le constate, informer les patients permet de faire tomber leurs réticences et de les rassurer sur les dosages. Cela facilite également le suivi thérapeutique, améliore les chances de réussite de la thérapie, et donne aux patients l’assurance de savoir à qui poser leurs questions. Tout cela implique une collaboration étroite entre l’équipe soignante et le service médical responsable.
La situation actuelle est très problématique pour différentes raisons : les personnes gravement malades s’approvisionnent en cannabis comme elles le peuvent sur le marché noir ; il n’existe aucun cannabis « standard » pour les malades ; les patients disposent souvent de connaissances insuffisantes sur les effets exacts, les indications et les dosages du cannabis, et ne sont que rarement accompagnés par des professionnels.
Cela mis à part, la prescription de cannabinoïdes est soumise au principe d’ultima ratio, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être prescrits que si toutes les autres méthodes se sont révélées inefficaces, et que le recours aux cannabinoïdes est la dernière solution thérapeutique possible.
Il faut alors déposer une demande médicale individuelle auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), accompagnée de nombreuses obligations administratives. Cela représente souvent un obstacle à la prescription, au même titre que le manque de connaissances médicales sur les effets, les indications et l’utilisation des cannabinoïdes. De plus, il faut faire une demande de garantie de prise en charge des frais auprès de la caisse d’assurance maladie. Si celle-ci est rejetée, la thérapie à base de cannabinoïdes peut devenir hors de prix : si l’on ne peut pas la financer soi-même, elle devient inaccessible. C’est également l’un des points de départ du projet « Sativa-Öl ».
A.Vogel : L’utilisation de l’huile peut-elle également engendrer des effets secondaires et existe-t-il des contre-indications ? Est-il possible de faire une overdose ?
Bea Goldman : Chaque patient réagit différemment aux cannabinoïdes, il est donc impossible de le savoir à l’avance. Cela dépend de l’emplacement, du type et du nombre de récepteurs aux cannabinoïdes endogènes du patient. Entre 25 et 30 % des patients sont des « non-responder », c’est-à-dire qu’ils n’y réagissent pas du tout, ou seulement avec des effets secondaires.
Il est important d’étalonner le dosage lentement et progressivement, le mieux étant de commencer un soir par un milligramme, puis deux milligrammes le soir suivant, et de voir avec le patient si les effets perçus sont suffisants. Le cas échéant, on peut rester sur ce dosage. Pour certains troubles, notamment dans les cas de spasticité, il peut être décidé, à la discrétion du personnel soignant, d’ajouter une dose le matin, le midi ou éventuellement la nuit.
De faibles doses sont souvent suffisantes pour obtenir un effet, notamment dans les préparations naturelles à base de cannabinoïdes. C’est d’autant plus vrai lorsque la préparation est administrée sous la langue et que l’on évite alors l’effet « premier passage » : la « filtration » par le foie est alors moins importante que lorsque le médicament est avalé d’une traite. Placé sous la langue, il agit directement sur les petits vaisseaux de la muqueuse buccale. Les overdoses sont quasiment inexistantes, dès lors que les patients sont bien informés ! Les effets secondaires les plus courants sont les vertiges et un état de torpeur. On rencontre également des céphalées, des nausées, des hallucinations, des cauchemars, une sécheresse buccale et le rougissement des yeux. La baisse de la pression sanguine et l’accélération du rythme cardiaque dépendent largement du dosage, mais sont plutôt rares. En cas d’effets secondaires, il convient d’attendre un ou deux jours avec le même dosage, de se reposer et de manger et boire suffisamment. Ou bien de réduire la dose d’un milligramme le jour suivant et de patienter. On n’a constaté aucun cas de décès lié aux cannabinoïdes.
Les expériences pratiques menées dans le Muskelzentrum de l’hôpital cantonal de Saint-Gall ont démontré que la durée des effets des préparations à base d’alcool est sensiblement plus courte que celle des préparations à base d’huile, et qu’elles sont mieux tolérées lorsqu’elles sont naturelles. Des patients ont en outre rapporté qu’ils parviennent à prendre davantage de distance par rapport à la maladie grâce à la Sativa-Öl. Ils se sentiraient ainsi plus sereins, avec des répercussions positives sur leur sommeil et leurs relations, et donc une amélioration de la qualité de vie, pour eux comme pour leurs proches. Cela pourrait provenir des composantes non-cannabinoïdes des préparations naturelles.
Ces « soft factors » devraient justement être répertoriés et étudiés. Actuellement, le groupe de travail « Schweizerische Arbeitsgruppe für Cannabinoide in der Medizin » collabore étroitement avec l’OFSP, sous la direction du professeur Rudolph Brenneisen, notamment en vue de planifier une collecte de données unique et nationale qui permettrait d’analyser systématiquement les effets des cannabinoïdes.