L’utilisation de cannabis en médecine fait débat. Les médicaments à base de chanvre sont utilisés essentiellement pour soulager des personnes grièvement malades. Cependant, rares sont les patients qui bénéficient de cette solution à ce jour, les obstacles à l’approvisionnement étant nombreux.
Auteure : Gisela Dürselen, 05.15
A ce jour, Bea Goldman, infirmière à l’hôpital cantonal de Saint-Gall, a déjà informé de nombreux patients atteints de maladies graves sur les thérapies à base de cannabinoïdes, et en a fait bénéficier nombre d’entre eux. Sont concernées en premier lieu les personnes atteintes de SLA (sclérose latérale amyotrophique), une maladie neurodégénérative incurable réduisant l’espérance de vie, souvent accompagnée de spasmes et de crampes musculaires sévères qu’aucun traitement ne parvient à apaiser. Généralement, ces personnes ne trouvaient de réel soulagement que dans l’utilisation de préparations à base de cannabis.
Cannabis : une solutation thérapeutique
Trois questions à Bea Goldmann
Bea Goldman est consciente de la difficulté de s’approvisionner en cannabis, par exemple lorsque des malades en phase terminale, désespérés, se tournent vers le marché noir et doivent se contenter de ce qu’ils y trouvent. Ils peuvent alors se mettre dans l’illégalité et risquent de consommer des substances de qualité douteuse, trop concentrées en tétrahydrocannabinol (THC), molécule euphorisante de la plante, ou encore polluées par des additifs inconnus, des spores de champignons ou des bactéries.
Afin d’aider ces personnes, Bea Goldman a élaboré une huile de cannabis produite depuis novembre 2014 par le fabricant de produits pharmaceutiques Hänseler, situé à Herisau. En outre, l’hôpital cantonal de Saint-Gall dispense depuis quelques temps déjà des conseils de professionnels et propose maintenant officiellement les premières consultations sur les cannabinoïdes en Suisse.
Le problème du cannabis est qu’il s’agit non seulement d’une plante médicinale, mais également d’un stupéfiant. En 2008, lors d’une révision de la Loi sur les stupéfiants, les citoyens suisses se sont opposés à une légalisation générale du cannabis. Tandis que la culture de plants de chanvre contenant au moins 1 % de la substance active de THC reste interdite, les préparations médicinales contenant du THC sont depuis lors autorisées. Les médecins peuvent prescrire le Sativex, spray buccal soulageant particulièrement les patients atteints de sclérose en plaques, et le Dronabinol, substance active contenant du THC obtenu synthétiquement à partir d’un composant de l’écorce de citron.
Pour se faire prescrire l’un de ces médicaments, il faut toutefois s’armer de moyens et de patience : les médecins ne sont pas tous suffisamment informés sur l’utilisation et le dosage de ces médicaments, et certains hésitent à les prescrire. Les caisses d’assurance maladie n’étant pas non plus tenues de prendre en charge les coûts d’une telle thérapie, qui peuvent atteindre plusieurs centaines de francs par mois, rares sont les patients qui parviennent à en bénéficier.
Dans plusieurs pays européens, des initiatives appellent à la mise en place de modèles légaux de prescription et à la prise en charge par les caisses d’assurance maladie. En effet, si de nombreux pays ont depuis permis l’utilisation de médicaments à base de cannabis, très peu d’entre eux ont autorisé le recours au cannabis thérapeutique, c’est-à-dire à tout ou partie de la plante elle-même, notamment aux fleurs de cannabis, dont la teneur en THC est très forte. D’un point de vue économique, il serait toutefois beaucoup plus intéressant de consommer les fleurs de cannabis que les médicaments autorisés à base de cannabis synthétique, dont le prix est souvent exorbitant.
Comme en Suisse, les caisses d’assurance maladie de certains autres pays ne prennent en charge que les cas particuliers : en Allemagne par exemple, où le premier extrait de cannabis n’a été autorisé qu’en 2011, les caisses ne remboursent les traitements qu’en cas de spasticité sévère liée par exemple à une sclérose en plaques. Depuis, le débat a toutefois évolué : le 22 juillet 2014, le tribunal administratif de Cologne a autorisé trois personnes atteintes de maladie chronique à cultiver elles-mêmes leur cannabis. Le jugement n’est toutefois pas définitif, car il a été fait appel de cette décision. Le gouvernement fédéral allemand s’empare maintenant lui aussi de la question et veut, d’ici fin 2015, ouvrir le débat sur un projet de loi qui prévoirait des prestations d’assurance maladie dans les cas médicalement justifiés de prescriptions de cannabis.
La situation actuelle est insatisfaisante, le prix des médicaments à base de cannabis étant souvent prohibitif et les autres voies d’approvisionnement trop peu sécurisantes. Comment garantir alors le contrôle de la qualité et l’adéquation du dosage ? Et comment limiter les effets indésirables ? Pour répondre à ces problématiques, des spécialistes de la sélection végétale ont développé des variétés spéciales dont la teneur en cannabidiol (CBD) est élevée. Le CBD, qui est, à l’instar du THC, une substance active de la plante, a notamment la propriété de diminuer les effets euphorisants du THC. Des techniques d’administration alternatives, sous forme de spray buccal et de vaporisateur, ont été développées afin de permettre un dosage plus précis et d’éviter les effets secondaires néfastes de l’absorption sous forme de fumée.
Les Pays-Bas ont opté pour une méthode particulière de contrôle de la qualité : depuis 2003, une autorité est chargée du cannabis thérapeutique ; le ministère de la santé néerlandais dispose d’un centre de consultations spécifique ; et l’entreprise « Bedrocan », mandatée et contrôlée par l’Etat, produit des plants de cannabis biologiques à des fins thérapeutiques.
Actuellement, le débat autour de l’utilisation du cannabis comme médicament est alimenté notamment par l’accumulation d’indices de l’existence d’un important potentiel thérapeutique au-delà des seuls effets euphorisants. On a recensé plus de 600 substances actives, dont au moins 60 cannabinoïdes, ayant des propriétés analgésiques et antispasmodiques. Le cannabidiol peut renforcer les effets thérapeutiques du THC et agit aussi comme anti-inflammatoire et anxiolytique. Il est également possible qu’il entrave le processus de calcification des artères, notamment lorsque les doutes sur une possible inflammation chronique, dans le cas d’une artériosclérose, se confirment.
A ce jour, le cannabis est avant tout utilisé dans les traitements palliatifs et dans les cas de maladies neurodégénératives, telles que la sclérose en plaques, ou de douleurs chroniques liées par exemple aux rhumatismes. Des personnes atteintes d’un cancer ou du sida déclarent constater un apaisement de leurs douleurs et une réduction des effets secondaires liés à la prise d’autres médicaments, comme les nausées induites par une chimiothérapie.
Au cours de la réunion 2013 du Schweizer Arbeitsgruppe für Cannabinoide in der Medizin (SACM - groupe de travail suisse sur les cannabinoïdes en médecine), Cristina Sánchez, biologiste moléculaire originaire de Tenerife, a présenté les résultats de son étude sur le cancer. Celle-ci montre que des composants du cannabis pourraient freiner la croissance de la tumeur dans certains types de cancers. Les résultats sont également encourageants dans de nombreuses autres maladies : migraines, maladies de Parkinson et d’Alzheimer notamment. Il existe certes déjà des médicaments pour lutter contre ces maladies, mais les résultats obtenus ne sont pas toujours satisfaisants et les effets secondaires sont parfois très graves.
Les résultats de certaines recherches, dont l’étude sur le cancer que nous avons citée, restent contradictoires et posent davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses. Il reste en effet encore des incertitudes sur la façon dont les quelque 600 substances actives du chanvre agissent les unes avec les autres, et combinées à d’autres médicaments.
Les médecins demandent donc depuis longtemps des études
cliniques plus nombreuses et plus probantes. Ils se demandent par
exemple pourquoi les cannabinoïdes calment les nausées dans un cas alors
qu’ils vont les déclencher dans d’autres, en tant qu’effets secondaires
; pourquoi certaines personnes réagissent à des doses minimes, tandis
que d’autres ont besoin d’un dosage plus fort, et que d’autres encore ne
supportent pas les substances actives ou n’en ressentent pas les effets
; pourquoi combiner THC et CBD se révèle parfois plus efficace que de
les utiliser séparément et en quoi cette combinaison joue un rôle ; et
finalement pourquoi de nombreux patients réagissent mieux à la plante
entière, avec tous ses composants, qu’à une seule de ses substances
isolée.
Le professeur Dr. Rudolf Brenneisen, expert mondialement reconnu dans le domaine de la recherche sur le cannabis et responsable du SACM, estime que les recherches médicales doivent étudier la plante dans son intégralité afin d’en comprendre les mécanismes d’action complexes. M. Brenneisen s’appuie pour cela sur des découvertes datant de 1992, année où Lumír Ondrej Hanu, chimiste tchèque, et William Anthony Devane, spécialiste américain en pharmacologie moléculaire, ont mis à jour l’anandamide. Cette découverte a permis aux chercheurs de mettre en évidence la production par le corps humain lui-même de substances similaires au cannabis et l’existence de récepteurs spécifiques à ces substances. Celles-ci sont présentes dans tous les organes importants et participent à des fonctions essentielles, aussi bien au niveau du système immunitaire que de la régulation de la peur et de la douleur. Fait intéressant, elles se fixent aux mêmes récepteurs que le THC présent dans le cannabis, par exemple. C’est pourquoi, selon les chercheurs, l’organisme humain réagit aussi bien aux préparations à base de chanvre.
Le haschich, la marijuana, le cannabis, le
chanvre… Quiconque emploie ces termes les entend souvent dans un sens
proche, sans toutefois parler exactement de la même chose. Le haschich
et la marijuana sont des mots utilisés dans le domaine des stupéfiants.
Le haschich est obtenu à partir de la résine de la plante femelle,
tandis que la marijuana est composée des fleurs et feuilles séchées de
la plante.
Le cannabis sativa, de son nom botanique, appartient à la
famille des cannabinacées et s’apparente au houblon et à l’ortie. Cette
plante aux feuilles dentelées, à la forme semblable aux cinq doigts
d’une main, rassemble de nombreuses variétés et sous-espèces, et est
vraisemblablement originaire d’Asie centrale.
Par le passé, le cannabis n’avait pas cette mauvaise image de drogue, mais tenait au contraire, depuis des millénaires, une place importante dans la médecine populaire de nombreuses régions. Elle était alors répertoriée dans les pharmacopées comme remède contre l’asthme, les troubles du sommeil et les dépressions, et est aujourd’hui encore prescrite en homéopathie. Pendant longtemps, le cannabis a été considéré comme une plante utile, particulièrement appréciée et polyvalente, en tant que simple chanvre.
Le chanvre était très prisé en raison de la grande solidité de ses fibres : en Chine, en Egypte ancienne et à Rome, ses fibres étaient utilisées pour fabriquer des gréements et des voiles de bateau, des vêtements et du papier. C’est seulement avec l’arrivée massive du coton, la perte de vitesse de la navigation à voiles et la découverte de la cellulose pour le papier que la culture du chanvre a disparu de nos campagnes. Entre-temps cependant, les fabricants de textiles ont remis cette plante à l’honneur grâce à son bilan écologique exemplaire : de par la nature de ses composants, le chanvre n’attire que très peu de nuisibles ; il est peu exigeant et pousse presque partout ; il nécessite beaucoup moins d’eau que le coton ; il améliore la qualité des sols ; et ses racines profondes ameublissent la terre. Il est par conséquent très utile pour régénérer les sols lessivés.