Des spécialistes considèrent plus de 1000 composés chimiques à effets hormonaux comme nocifs et demandent à retirer des substances connues de la circulation immédiatement. Les avis divergent quant à la question des quantités qui entraînent des conséquences pour la santé.
Auteur: Gisela Dürselen, 10/19
Des centaines d'hormones sont actives à l'intérieur du corps humain. Nous ne connaissons pas leur nombre exact, car de nouvelles hormones sont identifiées sans cesse. Dans leur rôle de messager chimique, elles commandent des processus importants comme le développement infantile, l'hydratation, le taux de calcium et la tension artérielle. Elles jouent un rôle dans le fonctionnement optimal du système immunitaire et influent sur les émotions. En bref: Le système hormonal composé des glandes et cellules dites endocriniennes et de leurs messagers chimiques commande des processus et fonctions essentiels du métabolisme et des organes.
Les différentes parties de ce système agissent en réseau et coopèrent de manière bien coordonnée. Lorsqu'un messager chimique se dépose sur une cellule, cela peut entraîner une réaction en chaîne complexe, avec la formation d'autres hormones, comme en cas de stress par exemple.
Des substances étrangères au corps peuvent également déclencher des réactions similaires à celles provoquées par les hormones. Elles pénètrent dans le corps via des médicaments ou les aliments, dans d'autres cas aussi à travers des produits nettoyants, industriels ou des produits d'hygiène corporelle. Déjà depuis le début des années 1990, on soupçonne une série de ce genre de substances chimiques de porter atteinte à la santé humaine et animale. Ces substances que l'on associe à un certain nombre de maladies sont appelées perturbateurs ou disrupteurs endocriniens (PE) ou xénohormones. Cela comprend des types de cancers hormono-dépendants comme le cancer de la prostate et du sein, des maladies thyroïdiennes et métaboliques, l'autisme et l'obésité ainsi qu'une fertilité réduite.
Les PE agissent en raison de leur ressemblance quasiment parfaite aux vraies hormones du corps. Ils sont capables de se poser sur le récepteur d'une cellule à leur place et de renforcer ou bloquer l'effet des hormones produites par le corps: par exemple en attaquant des enzymes responsables de la dégradation d'une hormone. Ou bien en simulant la présence d'une hormone naturelle, de sorte à ce que le corps n'en produise plus que très peu lui-même.
Les substances liposolubles pouvant s'accumuler dans les tissus des organismes et dans l'environnement sont considérées comme particulièrement inquiétantes. Comme deux des premières substances chimiques identifiées comme perturbateurs endocriniens: le pesticide DDT et la dioxine, qui ont fait les gros titres dans les années 1970 en tant que «poison de Seveso».
Les scientifiques effectuent des recherches poussées sur les effets de telles substances liposolubles pendant la grossesse et l'allaitement: Plusieurs études indiquent que les perturbateurs endocriniens passent au fœtus via le sang, qu'ils s'accumulent dans le lait maternel riche en graisses et se transmettent au nouveau-né.
La toxicologue suisse, le Dr. Margret Schlumpf a analysé des échantillons de lait maternel humain pour détecter des substances chimiques très variées, dont des filtres anti-UV à activité endocrinienne comme on les trouve dans les crèmes solaires et produits cosmétiques. Les filtres anti-UV en question ont pu être détectés chez un grand nombre des mères allaitantes. Sachant que les concentrations dans le lait maternel étaient corrélées à l'utilisation par la mère de crèmes solaires et produits cosmétiques contenant des filtres anti-UV.
Le Dr. Margret Schlumpf trouve ce constat inquiétant: «Toutes les phases précoces, surtout prénatales, sont sensibles, voire hautement sensibles aux perturbateurs endocriniens. Un point caractéristique est le fait que nous avons quelques connaissances concernant les quantités, mais que nous n'avons que peu d'informations précises quant aux effets durant les stades précoces du développement. C'est à ces stades que les hormones jouent un rôle bien plus important que durant les phases ultérieures. Ils sont déterminants pour la suite du développement de la personne.»
Pour cette raison, il convient de chercher des conseils critiques quand il s'agit de choisir une protection solaire pour les enfants, préconise le Dr. Schlumpf. Elle recommande les produits des fabricants alternatifs de cosmétiques et plus particulièrement ceux qui sont préconisés pour une utilisation sur des enfants. Ceux-ci ne contiennent pas d'ingrédients comme le benzol, le trisiloxane ou le drométrizole. «Ils produisent leur effet protecteur en renvoyant la lumière du soleil à travers des petites particules qui restent sur la peau où ils forment un film blanchâtre, mais ne traversent quasiment pas la peau.»
Les produits cosmétiques du dentifrice au gel douche en passant par la crème solaire ne sont pas les seules sources d'un contact avec des produits chimiques à activité endocrinienne: On a trouvé des substances appelées disrupteurs endocriniens dans la poussière domestique et les pesticides, tout comme dans beaucoup de produits du quotidien en plastique, où ils servent de conservateur ou à rendre le plastique plus souple. Tout comme la substance chimique appelée bisphénol A (BPA) que l'on soupçonne, entre autres, d'être à l'origine de l'hypominéralisation molaires incisives, dite dents de craie, chez les enfants dont l'émail dentaire est nettement plus fragile que la normale.
Les positions divergent concernant la réponse à la question du nombre de substances chimiques ayant une influence sur le système hormonal humain: La liste de la Commission Européenne mentionne environ 500 substances pour lesquelles il existe des indications concernant une activité endocrinienne. Selon l'institut fédéral allemand d'évaluation des risques (deutsches Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR)), le simple fait de figurer sur cette liste ne signifie cependant pas que toutes ces substances rendent malade. Pendant ce temps, diverses associations environnementales et scientifiques partent du principe qu'il existe nettement plus de substances suspectes.
Certaines substances comme le retardateur de flammes appelé décabromodiphényléther (DecaBDE) sont désormais interdites dans l'UE et en Suisse, d'autres sont soumises à des restrictions. De plus, la Commission Européenne prévoit d'autres réglementations concernant les jouets, les cosmétiques et emballages alimentaires et les nouveaux pesticides ne sont pas autorisés s'ils présentent une activité endocrinienne.
En 2018, la Commission Européenne a publié une directive qui doit régler la question litigieuse de la classification des substances chimiques à activité endocrinienne. Les substances listées sont désormais soumis à autorisation et ne peuvent être mises en circulation qu'après avoir réalisé une évaluation des risques. Des experts et associations comme la société allemande d'endocrinologie critiquent la réglementation qui ne va pas assez loin à leurs yeux: Il y a trop de failles et la barre pour obtenir une interdiction est trop haute.
Si le principe de précaution s'applique, pourquoi faut-il si longtemps avant de retirer des substances probablement nocives pour la santé de la circulation malgré les diverses ordonnances et directives de l'UE et de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)? Une des raisons est le fait que ces substances chimiques peuvent être utilisée de manière très variée et qu'il est donc difficile de les remplacer - et que diverses substances de remplacement se sont également avérées risquées.
Une autre raison est la difficulté de prouver la dangerosité des substances en question. Les méthodes de test actuelles sont très longues à mettre en œuvre, coûtent cher et sont extrêmement compliquées. Comment peut-on par exemple évaluer des conséquences qui ne seront visibles que des années plus tard? Comment évaluer des atteintes qui risquent d'avoir des effets sur la génération suivante? Dans cette optique, l'évaluation et l'autorisation de nouveaux tests pour substances chimiques et mélanges de substances chimiques font aussi l'objet de discussions concernant les subventions de l'UE qui viennent d'être distribuées sous le nom de HORIZON 2020.
Pour le nouveaux procédés de test, les combinaisons des substances jouent un rôle important: «Dans des mélanges avec des substances chimiques à activité œstrogène, l'effet global est plus élevé que l'addition des effets de chacune des substances à activité œstrogène», dit le Dr. Schlumpf. «Cela signifie que, pour les mélanges de substances chimiques possédant toutes le même effet, p.ex. œstrogène, le risque est plus élevé que celui auquel on se serait attendu en se basant sur les concentrations de chacune des substances.»
Des toxicologues partout dans le monde effectuent des recherches sur les disrupteurs endocriniens depuis des décennies. En Suisse, dans le cadre du programme national de recherche (PNR50) entre 2000 et 2007, on a étudié le sujet «Perturbateurs endocriniens: Importance pour les êtres humains, les animaux et les écosystèmes» par l'intermédiaire de plus de 30 projets. Déjà à l'époque, le résultat a fait beaucoup de vagues: La qualité des spermatozoïdes des participants suisses laissait à désirer. D'autres études démontrent que la Suisse n'est pas une exception et que le nombre de spermatozoïdes fertiles recule partout chez les hommes des sociétés occidentales. Les perturbateurs endocriniens ont été identifiés parmi d'autres causes.
Ces substances peuvent aussi se retrouver dans l'environnement et dans l'eau et produire un effet sur les organismes aquatiques: Des chercheurs ont observé une capacité de reproduction en baisse chez les animaux aquatiques comme les poissons et les loutres, les escargots d'eau douce et les oiseaux aquatiques. Déjà au cours des années 1980, la Suisse a enregistré une baisse de 60 pourcent des truites pêchées dans ses rivières et ruisseaux. Dans la recherche des causes de cette baisse, l'institut de recherche Eawag et l'office fédéral de l'environnement a initié en 1998, en coopération avec les cantons, la fédération de pêche, l'industrie chimique et l'université de Berne, le projet «filet de pêche». Ce projet a permis de trouver une combinaison de plusieurs causes, dont les substances à activité œstrogène. Il est remarquable de constater que des concentrations en œstrogène nettement plus élevées ont été mesurées dans les cours d'eau en aval des stations d'épuration qu'en amont. Cela a donc apporté la preuve que les stations d'épuration n'étaient pas capables d'éliminer suffisamment ce type de pollution.
L'état de beaucoup de cours d'eau en Suisse s'est amélioré depuis. Cela est dû surtout au projet «Strategie Micropoll» qui faisait suite aux découvertes et qui a servi à tester des procédés de nettoyage supplémentaires pour les stations d'épuration. Deux procédés se sont avérés efficaces et sont utilisés, nous dit le Dr. Eszter Simon du Centre Suisse d'écotoxicologie appliquée de l'Eawag et de l'EPFL. Il est prévu d'en équiper d'autres stations d'épuration dans les années à venir. Selon le Dr. Simon, les mélanges des polluants sont différents d'un endroit à l'autre; il faut donc traiter, vérifier et optimiser chaque station d'épuration séparément.
S'y ajoute le fait que de nouvelles substances chimiques sont développées en permanence et se retrouvent dans l'environnement à partir de différentes sources. Les produits phytosanitaires et les médicaments utilisés par l'agriculture, qui ne passent pas dans les cours d'eau via les stations d'épuration, jouent un rôle eux aussi.
Cela ne sert à rien de ne vérifier et réguler que les stations d'épuration et les activités agricoles. Il faut aussi contrôler soigneusement l'autorisation des nouvelles substances chimiques et repenser les habitudes de consommation, ainsi le Dr. Simon qui plaide en faveur d'une gestion responsable: «Les consommateurs peuvent apporter leur pierre à l'édifice en éliminant dans les règles de l'art les médicaments et produits chimiques et en utilisant des produits d'hygiène corporelle et de nettoyage qui se dégradent bien.»
Si des substances extérieures à activité endocrinienne peuvent pénétrer dans le corps et y perturber le système endocrinien, comment agissent alors les hormones végétales, appelées phytohormones? Car certaines plantes possèdent elles aussi des composants pouvant engendrer un effet hormonal dans l'organisme. Elles sont absorbées avec la nourriture et on les trouve surtout dans le soja, le trèfle rouge, les graines de lin et les haricots, ainsi que dans les graines de tournesol et de citrouille et dans des plantes médicinales comme l'actée à grappes, la sauge et le gattilier.
Selon l'institut fédéral allemand d'évaluation des risques (deutsches Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR)), ces hormones naturelles ont, en principe, le même fonctionnement que les hormones de synthèse: Elles peuvent se poser sur les récepteurs et renforcer ou atténuer l'effet des hormones. Mais il y a aussi des différences: Selon le BfR, les hormones synthétiques se dégradent moins vite que les hormones naturelles, la durée de présence dans le corps peut donc être plus longue. Il est ensuite possible que les produits métaboliques des hormones synthétiques présentent un effet d'une autre puissance que la substance de départ, elles déploient donc un autre spectre d'activité.
Les phytohormones sont considérées comme variante douce du traitement hormonal car elles ont un effet régulateur sur le système hormonal. Des études à ce sujet arrivent toutefois à des résultats contradictoires. On peut citer l'exemple de l'isoflavone similaire à l'œstrogène présente en quantité dans le soja et qui a bien été étudiée: On observe le fait que les femmes asiatiques développent moins de troubles liés à la ménopause et moins de cancers du sein, qui vient appuyer l'hypothèse qu'une consommation abondante de soja pourrait avoir un effet de protection. Mais des études portant sur des femmes européennes n'ont pas permis de confirmer cette hypothèse. Il est aussi possible que des facteurs psychologiques dus aux différences culturelles jouent un rôle dans les troubles liés à la ménopause. Ou bien l'explication est à chercher dans le fait que les femmes asiatiques mangent déjà beaucoup de soja durant leur enfance, alors que les femmes européennes ne commencent à consommer des isoflavones qu'autour de la ménopause ou une fois celle-ci installée - et que souvent elles ne consomment pas les hormones sous forme de produits à base de soja, mais dans une forme concentrée de complément alimentaire. Il existe peut-être encore bien d'autres explications pour les différences dans les effets des phytohormones. Une hypothèse relativement récente se réfère à la flore intestinale: Le microbiome métabolise beaucoup d'hormones végétales et il existe éventuellement un lien entre la colonisation bactérienne individuelle de l'intestin, du métabolisme et du système hormonal.
Le BfR déconseille une prise prolongée de phytohormones dans une forme concentrée et un dosage décidé par le consommateur sans ordonnance d'un médecin. Concernant une alimentation à base de plantes, l'endocrinologue autrichienne, le Prof. Dr. Barbara Obermayer-Pietsch a toutefois constaté lors du congrès de cette année dédié à l'endocrinologie à Göttingen que la part d'hormones et de microbes végétales ingérés avec l'alimentations quotidienne est capable d'exercer une influence positive, décisive sur le système hormonal et métabolique. Pour cette raison, une alimentation saine devrait comporter une grande part de fruits et légumes.