La bouche est un biotope abritant les micro-organismes les plus divers. Tandis que les uns retiennent les intrus pathogènes, les autres peuvent entraîner de nombreux problèmes de santé.
Sur une douce musique de violon, l'acteur principal, fort séduisant, contemple tendrement sa très jolie partenaire dans les yeux. « Ne dis rien, mon amour. Laissons parler nos sentiments ». Leurs lèvres s’unissent en un baiser langoureux. Les sons des violons résonnent…
Toutes les histoires d’amour contiennent au moins une scène de baiser passionné. Mais un instant … Qui a inventé le baiser ? Les metteurs en scène ? Le baiser existait bien évidemment avant l’apparition du cinéma. Deux théories sur l’origine du baiser s’affrontent ardemment. L’une n’est pas romantique pour deux sous, l’autre fait partie de cette catégorie dont les Italiens disent : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé (si non è vero è ben trovato).
Auteur : Adrian Zeller, 10.14
La première explication prétend que les mères des peuples primitifs en ont été les pionnières. Leur pratique s’observe encore de nos jours chez certaines tribus d’Amérique du Sud. Les mères mâchent la nourriture jusqu’à obtenir une bouillie, qu’elles déposent avec leurs lèvres directement dans la bouche de leur bébé.
Deuxième explication : l’empereur Romulus interdisait aux femmes de boire du vin. Les proches masculins étaient chargés de surveiller cette abstinence. Comme les Romains ne possédaient pas de ballons à affichage électronique, ils n'avaient pas d’autres solutions que de renifler le plus près possible du visage.
Lorsque la suspecte était particulièrement séduisante, le contrôleur d’alcool s’acquittait de sa mission avec grand zèle. Ces inspecteurs prenaient tant de plaisir à leur activité de surveillance qu’elle est devenue une mode, qui s’est répandue bien au-delà de l’Empire romain.
Qui que soit l'inventeur du baiser, la nature y avait mis son grain de sel, et ce qui suit ne sera ni romantique ni appétissant : à chaque baiser, quelque 4 000 bactéries transitent d'une bouche à l'autre.
Le terme bactérie évoque aussitôt un danger pour la santé. Cependant, seul un nombre infime de bactéries provoquent de la fièvre, des diarrhées ou autres douleurs. La grande majorité est indispensable. Par exemple, sans les microbes présents dans l’intestin, quasiment aucune substance vitale des aliments et des boissons ne pourrait être absorbée dans l’organisme. Des aliments comme les yaourts, la choucroute ou le fromage bleu s’obtiennent uniquement grâce à des processus chimiques déclenchés par des bactéries.
Certaines de leurs souches forment également une sorte de programme de formation pour le système immunitaire. Lors d’un baiser, les bactéries transitent vers le partenaire, dont elles vont stimuler les défenses. De nouvelles contre-attaques spécifiques vont être développées.
Certains microbes échangés lors de baisers sont en revanche loin d’être inoffensifs. Notamment la salmonelle. Le traitement de cette maladie diarrhéique très contagieuse est impérativement du ressort d'un médecin compétent.
Un autre contact avec les bactéries de la bouche concerne le médecin : les morsures. Depuis le dernier mondial de football, la terre entière sait que certaines personnes mordent leur adversaire en cas de conflits. À la stupeur générale, l’Uruguayen Luis Suárez planta un coup de dents sur l’épaule de l’italien Giorgio Chiellini. Ce n’était pas la première morsure de Suárez au cours d’un match.
Les dents pénètrent dans la peau protectrice, elles transmettent des microbes directement dans les tissus ou dans le sang. La moitié des morsures humaines provoque des infections.
C’est maintenant l’heure de poser la vraie question : quels locataires insidieux porte-t-on dans la bouche ?
Quelque 3 000 variétés de micro-organismes s’établissent durablement sur la langue, sur la muqueuse buccale, dans la gorge, dans les plombages et sur les gencives. Ils portent des noms imprononçables comme Veillonella parvula ou Aggregatibacter actinomycetemcomitans. Des champignons de levure sont aussi présents. Dans des circonstances ordinaires, ces différentes variétés vivent en harmonie, dans un paisible équilibre.
On parle couramment de flore buccale, comme on évoque la flore intestinale. Les spécialistes n’aiment pas employer ces termes, car ils ne sont pas assez précis. «Flora», soit la flore en latin, tire son origine d’une époque où les scientifiques classaient les bactéries parmi les plantes. L’appellation correcte est désormais : colonie de micro-organismes.
La principale mission de ces micro-organismes est de protéger le corps des agents pathogènes. La bouche est une zone particulièrement exposée. La situation ressemble à celle d’une ville fortifiée pendant le Moyen-Age. Toutes sortes de personnages, dotés des intentions les plus variées, s’y pressent pour entrer, des gens venus de contrées lointaines, des parasites qui vivent aux dépens des autres, mais aussi de bons assistants, qui cherchent travail et nourriture. Si les sentinelles ne procèdent pas à une sélection, le plus grand chaos règne bientôt dans la ville. Il arrive que des fléaux ainsi importés se déclenchent, ou que de sombres individus aux intentions inavouées cherchent à s’emparer du sceptre.
Une partie des microbes de la bouche joue le rôle de sentinelle aux portes de la ville : accueillir les visiteurs bienveillants, rejeter les personnages douteux. Ils occupent le terrain, empêchant ainsi les intrus porteurs de maladies de s’infiltrer.
Une activité intense se déroule généralement dans la bouche. Les boissons coulent, on mâche, on avale, on se brosse les dents. Comment les petits éléments protecteurs font-ils pour ne pas être évacués à coup de liquide ou de brossage ? La nature a trouvé une solution très efficace : une partie des bactéries possède un mécanisme d’adhérence qui les rend sédentaires.
Du reste, certaines bactéries poursuivent intentionnellement le chemin des aliments. Par la mastication et la salive, elles se fondent directement dans la nourriture broyée. La première étape de la digestion commence dans la bouche.
Concernant la digestion : une partie des aliments représente un vrai pays de cocagne pour les bactéries nocives. Des bactéries de décomposition s’immiscent entre les dents, sur les résidus de protéines. Elles se multiplient en quelques heures, et peuvent entraîner une haleine insupportable.
Un brossage des dents minutieux et régulier est donc impératif, au moins deux fois par jour. Avant d'utiliser la brosse à dents manuelle ou électrique, le fil dentaire et la brossette interdentaire doivent avoir raison des résidus nichés dans les espaces entre les dents. Il reste encore beaucoup à faire à ce sujet: les spécialistes ont calculé que chaque personne devrait utiliser trois à quatre paquets de fils dentaire de 50 mètres par an pour un nettoyage optimal. Or, les Allemands et les Suisses en utilisent seulement respectivement neuf et douze mètres. En matière de dentifrice également, l'idéal n'est pas atteint. En Suisse comme en Allemagne, la consommation individuelle représente environ la moitié de la quantité recommandée.
Après un repas pris sur le pouce ou un pique-nique, il n’est pas toujours facile de bien se laver les dents. Les lotions buccales offrent une alternative, elles éliminent une partie des microbes indésirables. On trouve dans les magasins spécialisés des produits à base d'extraits de plantes médicinales, comme la sauge, qui renforcent les gencives et luttent contre les inflammations. Les chewing-gums sans sucre représentent une solution acceptable en cas de besoin. Ils favorisent la production de salive, les plus gros résidus sont éliminés et les acides neutralisés.
Au cours de leurs expériences, les chercheurs ont constaté qu'une mauvaise hygiène dentaire provoque à long terme un déséquilibre en faveur des microbes pathogènes, tandis que ceux qui stimulent la santé buccale diminuent.
Malheureusement, même avec un brossage régulier, le tartre n'est jamais complètement éliminé. La vinaigrette, le jus des fruits, les agrumes et autres aliments et boissons riches en acides abiment l’émail des dents. Les liaisons de phosphate et de calcium dans la salive réparent les parties endommagées. Si les dents ne sont pas suffisamment brossées, des dépôts de bactéries se forment à leur surface. Les spécialistes évoquent un biofilm, un épais réseau de microbes qui échangent des substances et des signaux. Conjugués au calcium et au phosphate présents dans la salive, ils forment des dépôts solides que seul le dentiste peut retirer avec ses instruments.
La surface du tartre est rugueuse. De nouveaux microbes peuvent s’y nicher et proliférer avec succès. Les conséquences à long terme vont des inflammations de la gencive jusqu'à la perte de dents. Afin d’éviter toute séquelle, il convient de se faire retirer le tartre chez le dentiste ou l’hygiéniste dentaire.
Dans le biofilm, certains types de bactéries faisant partie des éléments présents en permanence dans la bouche se multiplient également. Leurs sécrétions acides privent l'émail dentaire de sels minéraux. Au fil du temps, des trous apparaissent dans les dents : ce sont les caries.
Les peuples de l’antiquité ne connaissaient ni la brosse à dent électrique ni le fil dentaire. Cependant peu de gens souffraient de caries. Les trous représentent une maladie typique de la civilisation moderne. Les bactéries provoquées par les caries croissent remarquablement bien en présence de sucre. Au cours des 150 dernières années, la consommation moyenne de sucre a été multipliée par 20. En Suisse, 44 kilos de sucre par personne sont consommés chaque année, et 36 kilos en Allemagne. Selon les dernières recommandations de l’OMS, il ne faudrait pas dépasser dix kilos. Il vaut donc mieux renoncer aux en-cas sucrés ainsi qu’aux limonades et autres ice-teas riches en sucre.
Pendant longtemps, on a recommandé un brossage des dents en profondeur, essentiellement en vue de conserver ses dents le plus longtemps possible. Au cours des dernières années, les résultats des recherches révèlent qu'une cavité buccale saine est importante pour la santé dans sa globalité.
Des gencives fragilisées sont plus sujettes aux saignements. Par l’intermédiaire du tissu ainsi endommagé, les bactéries présentes dans la bouche peuvent accéder aux voies sanguines. Elles forment ensuite de petits caillots, qui provoquent quant à eux des maladies cardio-vasculaires et diminuent l’irrigation du cerveau. En outre, depuis longtemps, on suppose l’existence d’une corrélation entre des dents mal soignées et l'augmentation du risque de sénilité. Des scientifiques américains ont par ailleurs récemment démontré que les femmes enceintes bénéficiant d’une bonne hygiène dentaire risquaient bien moins de connaître un accouchement prématuré. Les spécialistes ne savent pas expliquer cette corrélation. Mais c’est une raison de plus pour nourrir et soigner les colonies de micro-organismes présents dans la bouche.